Installée à l’occasion des travaux effectués par les CFF le cadre des chantiers CEVA, la nouvelle barrière du pont de la Jonction a suscité beaucoup de réactions d’habitants critiquant l’obstacle visuel qu’elle constitue dans ce lieu offrant un point de vue exceptionnel.
Pour qu’un débat sur cette question puisse avoir lieu, le Forum Démocratie participative a organisé en octobre 2018 un forum public, avec la participation d’intervenants de l’association Stop suicide, du Service du monument et des Sites, de la Commission des monuments et des Sites, et de la Ville de Genève, avec la présence de M. Rémy Pagani, conseiller administratif.
Une centaine de personnes y ont assisté, on écouté les explications apportées par les intervenants et ont fait part de leurs remarques, questions et réactions lors d’un débat très animé dont la presse a donné des échos
(Voir[fond lavande] ici sur le site du Forum les articles de la Tribune et du Courrier[/fond lavande])
Intervenants
- M. Rémy Pagani, conseiller administratif, responsable du Département des constructions et de l’aménagement de la Ville de Genève, et M. Olivier Morand, chef du Service de l’aménagement, du génie-civil et de la mobilité.
- Mme Léonore Dupanloup et M. Raphaël Thélin, permanents de l’association Stop suicide.
- M. Jean-Frédéric Luscher, directeur du Service des monuments et des sites du Canton de Genève.
- Mme Valérie Hoffmeyer, membre de la Commission des Monuments et des Sites.
- Nicolas Künzler, coordinateur du Forum Démocratie participative, modérateur de la soirée.
Accueil et présentation de la soirée
Après avoir accueilli les personnes présentes, Nicolas Künzler rappelle que le but du Forum est que les habitants – quels que soient leur âge ou leur nationalité – aient leur mot à dire sur les questions qui concernent le lieu où ils vivent, que ce soit à propos d’aménagement, de la transformation du quartier, de circulation, etc.
Vu de l’extérieur, le sujet de ce débat, une barrière sur un pont de chemin de fer, pourrait sembler anodin. Mais il est en fait à la fois sensible et important. Parce qu’il concerne deux problématiques de société qui suscitent toutes deux beaucoup d’émotion.
D’un côté la question de la sécurité et de la prévention du suicide. Chacun parmi nous a connaissance des drames que peuvent constituer la mort volontaire d’une connaissance ou celle d’un proche. Et cela encore plus lorsqu’il s’agit d’une personne jeune. Pour les 15-29 ans, le suicide est la première cause de mortalité.
Mais de l’autre côté, il y a aussi une dimension essentielle : celle du paysage, de la beauté de certains lieux ; du bonheur, de l’équilibre, du goût de vivre qu’ils nous apportent. Et c’est pourquoi la nouvelle barrière du pont de la Jonction a suscité dans le quartier et chez nombre d’usagers de la promenade entre Saint-Jean et la Bâtie des réactions très vives d’incompréhension, de mécontentement, voire de colère. « Un massacre esthétique », « notre belvédère transformé en prison », « des boucheurs de vue » : voici quelques expressions qu’on a pu entendre ces derniers mois.
Alors que faire ? Entre sécurité et panorama, est-on condamné à faire choisir ? Ou bien peut-on concilier prévention d’un côté, et de l’autre l’accès à ce paysage exceptionnel que constituent la jonction de l’Arve et du Rhône, les rives du fleuve et la ville en arrière-plan ?
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La rénovation du pont et la nouvelle barrière
Pont de la Jonction
Long de 218 mètre, il culmine à 25 mètres. Il a été construit entre 1944 et 1946 pour relier la gare de Cornavin à la gare de marchandise de la Praille. Il est en cours d’inscription à l’inventaire, c’est-à-dire que son intérêt architectural et patrimonial est reconnu et doit être maintenu.
Pour comparaison, le pont Butin, lui a été construit entre 1916 et 1926. Sa longueur est de 270 mètres, sa hauteur de 48 mètres.
Rénovation
Le pont a été rénové en 2016 – 2017, dans le cadre du projet de liaison Cornavin – Eaux-Vives – Annemasse. Le maître d’œuvre était le CEVA, un organisme mixte CFF – Canton de Genève.
Elargissement
Profitant de la possibilité ouverte par les travaux de rénovation, la Ville de Genève a demandé l’élargissement du passage pour les piétons, dont elle est propriétaire, avec la mise en place d’une nouvelle barrière.
Après une étude faite par le CEVA, une convention de financement est établie avec la Ville de Genève, celle-ci déléguant la maîtrise d’ouvrage au CEVA.
La barrière prévue mesurait 1 m 30. Le modèle avait été élaboré en discussion avec les architectes de la Ville de Genève, et elle avait reçu l’autorisation de l’Office fédéral des transports.
Il s’agissait d’une barrière avec des fers plats, identique (à part la hauteur et la section des fers qui était un peu moins importante) à celle qui qui existe aujourd’hui. Ce type avait été retenu notamment pour tenir compte de la défense du patrimoine, afin que la barrière soit aussi discrète que possible dans la silhouette du pont vu à distance.
Demande de Stop suicide
Fin 2016, l’association Stop suicide a demandé que les garde-corps aient une hauteur minimale de 1 m 80. La Ville de Genève a transmis cette demande au CEVA en décembre 2016, en soutenant cette requête et demandant formellement qu’elle soit prise en compte.
Pour le CEVA, comme la rénovation du pont devant être terminée fin 2017, cela représentait une complication supplémentaire. Mais la demande venant du propriétaire, il était nécessaire de l’intégrer.
De manière générale, les CFF n’ont pas de pratique de sécurisation de leurs ponts contre le suicide. Vu le nombre de viaducs du réseau ferré, cela représenterait une tâche démesurée.
Discussion et recherche de solutions
Il a donc fallu reprendre la question, avec comme nouveaux interlocuteurs l’association Stop Suicide et la Commission des Monuments et des Sites.
Une des raisons exposées par Stop suicide était d’éviter que le pont de la Bâtie soit utilisé par les désespérés à la place du pont Butin après la sécurisation de celui-ci. Il faut savoir en effet que même si sa réalisation s’est faite après, le projet de barrière du pont Butin – là aussi à la demande de Stop suicide – est antérieur à celui du pont CFF.
Différents types de barrière ont été envisagés : possibilité d’une barrière en plexiglas (écartée à cause du problème des tags), ou avec une géométrie ondulée (écarté car elle aurait été plus haute aux sommets de l’ondulation).
Compromis
La hauteur a été négociée : un accord entre les différentes parties a été trouvé à 1 m 55, minimum nécessaire pour qu’il y ait une certaine efficacité anti-suicide. Ce compromis a été adopté faute de temps pour étudier plus avant d’autres solutions.
Dans le cadre de la procédure d’autorisation, le projet a alors été examiné par les différents services de l’Etat pouvant être concernés par ce type de réalisation, et l’autorisation a été accordée par le Canton.
Quelques détail techniques
La barrière est faite de modules de 1 m 90 de largeur et de 1 m 50 de haut, fixés à 5 cm du sol. Les barreaux font 1 cm de large, l’espace entre eux est de 11 cm. La profondeur des barreaux est de 10 cm, ce qui augmente de façon croissante l’obstacle à la vue lorsqu’on regarde latéralement.
Placée sur un socle en béton, la barrière côté rail arrive à la même hauteur que celle côté Rhône. Le muret en béton à la base de celle-ci est une protection anti déraillement indispensable. Le rebord de ce muret sous la barrière est considéré comme suffisamment réduit pour qu’au niveau sécurité on juge que l’ensemble forme un seul obstacle de 1 m 55.
De l’autre côté des voies, la barrière aval est une barrière standard CFF, d’une hauteur de 1 m 15.
Problème d’information
Plusieurs personnes ont fait remarquer qu’aucune information n’avait signalé la hauteur de la nouvelle barrière. L’info CEVA n°15 parue en novembre 2016 était conforme au projet tel qu’il se présentait à ce moment là. La barrière après travaux dessinée est légèrement plus haute que celle avant travaux (passage de 1 m à 1 m 30).
Il n’y a pas eu d’information complémentaire sur le projet de barrière à 1 m 55. Selon le CEVA, cela aurait été la Ville de Genève, propriétaire ayant demandé la modification, qui aurait pu le cas échéant donner cette information.
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*Présentation de l’association Stop suicide
**Son origine, ses objectifs, ses actions
L’association a été créée en 2000 par des collégien.ne.s endeuillé.e.s, pour dépasser le tabou entourant cette question et briser l’isolement autour du suicide. Elle a aujourd’hui un comité directeur de 11 membres, et une équipe de 5 employé.e.s et 2 stagiaires.
En Suisse, 1’000 personne meurent chaque année par suicide. C’est la première cause de mortalité pour les 15-29 ans.
L’association Stop suicide, présente dans toute la Suisse romande, est centrée sur cette catégorie d’âge. Elle agit à travers un travail préventif effectué en amont. Stop suicide n’est donc pas une ligne d’aide aux personnes en détresse. Cette action là est assurée par d’autres organismes, avec les numéros gratuits accessibles à tout moment, le 147 pour les jeunes (Pro Juventute), et le 143 pour les adultes (la Main tendue).
L’association Stop suicide intervient :
- auprès des jeunes directement, dans les écoles, les foyers, les maisons de quartier, etc. ;
- auprès des professionnel.le.s qui les entourent : professeurs, éducateurs, animateurs, etc. ;
- auprès des médias : afin qu’il y soit parlé du suicide de manière préventive, en veillant à éviter tout effet potentiellement incitatif ;
- auprès des décideur.euse.s ;
- auprès de chacun.e !
Stop suicide agit par divers moyens (ateliers, conférences, tables rondes, journées de prévention, stands, BD, etc.). Chaque année autour du 10 septembre, elle organise des actions en lien avec la journée mondiale de prévention du suicide. L’objectif est de parler et faire parler du suicide autrement.
**Mesures de protection
Le but est de réduire l’accès aux moyens de suicide. Par exemple :
- par une législation sur les armes à feu plus restrictive ;
- par un conditionnement des médicaments ;
- par l’aménagement d’obstacles architecturaux dans les lieux à haut risque.
L’efficacité de ces mesures a été constatée tant dans d’autres pays qu’en Suisse ces dernières années. Elle tient au fait que les personnes en crise suicidaire sont le plus souvent ambivalentes au fond d’elles-mêmes. Elles sont partagées entre leur souhait de mettre fin à leurs tourments et leur envie de vivre. Même si les autres solutions possibles ne leur apparaissent plus, leur désir n’est pas de mourir, mais d’arrêter la souffrance qu’elles vivent.
Des obstacles comme des barrières permettent de gagner du temps. Et donc à la personne en crise de dépasser elle-même le pic suicidaire, et/ou d’être aidée par une tierce personne. L’obstacle peut aussi agir comme un électro-choc qui va sortir la personne de sa crise.
Les effets de ces mesures sont impressionnants : à San Francisco par exemple, sur 500 personnes ont été retenues du pont du Golden Gate, 95 % étaient en vie plusieurs années après. Elles n’avaient donc pas cherché un autre endroit, ni n’avaient choisi une autre manière d’en finir.
Il faut savoir en effet que chaque personne qui songe à se tuer élabore en elle-même un « scénario suicidaire » précis, et qu’elle n’en change pas rapidement quand un obstacle a rendu sa réalisation impossible ou plus difficile.
Pour en savoir plus, voir en ligne[fond lavande] le document sur la Prévention Situationnelle[/fond lavande] rédigé par Stop Suicide
Mesures de discrétion sur les projet de protection
Il est nécessaire de ne pas communiquer sur les projets de sécurisation entrepris. En parler risque en effet d’avoir un effet d’incitation, en « désignant » le lieu concerné comme un lieu de suicide. Ceci peut rendre l’option plus présente dans l’esprit de personnes en détresse. Des exemples dans d’autres pays ont malheureusement montré l’existence de ce phénomène et le risque de suicides « défis ».
Pour en savoir plus, voir [fond lavande]la fiche d’information sur la Prévention Média[/fond lavande]
[blanc].[/blanc]
*Questions et remarques du public
(avec [bleu marine]en bleu[/bleu marine] les réponses ou commentaires de Stop suicide ou des autres intervenants)
Manque d’information et de démocratie
Des personnes critiquent un manque d’information et de démocratie autour de ce projet :
- La Ville de Genève impose des réalisations.
- La population a été prise en otage.
Pourquoi avoir fait la barrière ainsi ?
Un certain nombre de questions et de remarques visent le type de barrière réalisé :
- Pourquoi pas quelque chose de mixte, avec des ouvertures permettant la vision ?
- Pourquoi ne pas avoir choisi des filets de protection ?
- N’aurait-on pu faire différemment, avec des barreaux moins rapprochés ?
- Pourquoi ne pas avoir mis une barrière entrecroisée, comme celles du bois de la Bâtie ?
- Cette barrière est désagréable, elle envoie un message négatif qui dessert la cause de la prévention du suicide.
[bleu marine]L’association Stop suicide n’a pas demandé tel ou tel type de barrière, mais seulement qu’une protection efficace soit mise en place. Les aspects techniques sont du ressort des spécialistes et des réalisateurs de la barrière.
Pour la réalisation, le manque de temps – en raison de l’ouverture nécessaire du pont pour fin 2017 – a joué un rôle. La possibilité de faire des études plus approfondies a manqué.[/bleu marine]
Aspects techniques
- Pourquoi les barrières encadrant le passage pour les piétons sont-elles différentes du côté fleuve et du côté train ?
[bleu marine]Ces deux barrières s’élèvent à la même hauteur : 1 m 55. Mais celle côté train est sur un socle en béton pour contenir les trains en cas de déraillement. Par ailleurs, il faut savoir que se jeter d’un pont ou se précipiter sous un train sont des scénarios suicidaires tout à fait différents.[/bleu marine]
Pourquoi ces barrières ?
Plusieurs questions portent sur ce qui a conduit à construire des barrières sur le pont de la Jonction et sur le pont Butin :
- Pourquoi prendre des mesures pour les ponts, et pas pour les autres modes de suicide ?
- Ne faudrait-il pas alors mettre des barrières partout, sur les balcons, sur les immeubles élevés ?
- Pourquoi a-t-on considéré qu’une barrière sur le pont de la Jonction était rendue nécessaire par la mise en place de celle du pont Butin, alors que vous nous dites qu’il n’y a pas de report d’un lieu sur un autre ?
- Quels sont les chiffres des morts volontaires pour le pont Butin et le pont de la Jonction ?
[bleu marine]L’association Stop suicide rappelle qu’elle agit pour la prévention de tous les modes de suicide.
Pour le pont de la Jonction, l’enjeu est la disponibilité et l’accessibilité de ce lieu proche du pont Butin. Le plan national de prévention demande qu’en cas de travaux sur un ouvrage susceptible de présenter des risques on intègre des mesures de protection. Il ne s’agit pas de tout sécuriser, mais seulement les lieux connus comme lieux de suicide ou ceux qui risquent de le devenir. De nombreux bâtiments élevés sont déjà sécurisés[/bleu marine].
[bleu marine]Quant aux chiffres, Stop suicide déclare qu’ils sont confidentiels et ne les communique donc pas (ce qui soulève une certaine réaction dans l’assemblée). Pour ses interventions, l’association se base sur les rapports de l’OFROU1, qui inventorient les lieux à risque selon le nombre de morts volontaires qui s’y sont passées. Ce qu’on peut dire, c’est qu’à Genève les sauts dans le vide représentent 20 % des suicides.[/bleu marine]
Efficaces, vraiment ?
Des personnes sont d’avis que la barrière du pont de la Jonction ne peut pas avoir l’effet annoncé :
- Ces barrières ne sont pas efficaces, elles n’empêcheront pas les suicides.
- Une hauteur de 1 m 55 n’est pas infranchissable, ce qui serait le cas avec 3 m 50.
- Ca ne sert à rien, c’est de l’argent foutu par les fenêtres !
[bleu marine]A partir d’1 m 55, des barrières sont efficaces. Les franchir n’est pas si facile, elles représentent déjà un obstacle à la réalisation d’un suicide, en empêchant la personne en détresse de simplement se laisser aller. L’expérience montre qu’elles augmentent donc la prévention de manière significative.[/bleu marine]
Voir [fond lavande] le communiqué de Stop Suicide sur la Prévention du suicide sur le pont Butin [/fond lavande]
++++La défense du patrimoine et du paysage
La défense du patrimoine et du paysage
**Présentation par M. Luscher
La rénovation et transformation du pont de la Jonction était une démarche complexe, faisant se rejoindre plusieurs niveaux de compétences et de procédures, y compris fédérales, puisque que touchant au trafic ferroviaire.
Pour l’aspect patrimonial, dépendant du Canton, il s’agissait de protéger le caractère architectural du pont et son intégration dans le site. Dans les discussions avec les CFF, une expertise extérieure a été demandée.
L’intégration de la voie verte sur le trajet du CEVA a amené à prévoir un double usage pour la mobilité douce, et donc un élargissement à 3 m 50. Compte-tenu des risques liés au train, il fallait prévoir une sorte d’auge autour des voies et des barrières résistantes en cas de basculement d’un convoi. Les négociations ont donc été complexes, et difficilement satisfaisantes. La hauteur initialement prévue de 1 m 30, ainsi que l’espacement des barreaux 12cm, étaient dictées par les normes de l’Office fédéral des routes.
Après la demande de Stop suicide, le compromis à 1 m 55 est intervenu en cours de chantier, rendant nécessaire une décision immédiate. Le projet a donc rencontré des contraintes exceptionnelles qui n’ont pas permis d’études plus complètes.
Que les pouvoirs publics aient pu intégrer dans ce projet complexe les considérations sociales et sociétales de protection contre le suicide est aussi un signe de démocratie.
On a dû faire une pesée d’intérêt, entre prévention et esthétique. A chacun de se placer dans la même situation avant de se prononcer. Car certaines positions reviennent à admettre que des gens meurent à cet endroit par ma décision.
Ce qu’il faut noter pour finir, c’est que les éléments installés sont réversibles. Les caractéristiques architecturales propres au pont ne sont pas altérées.
**Compte-rendu par Mme Hoffmeier
Tant pour le pont Butin que pour celui de la Jonction, les déléguées de la CMNS se sont dit « ça n’est pas possible ! ». Tant pour la préservation de l’aspect architectural des ponts que pour l’accès au paysage.
Pour le pont Butin, elles ont souligné la nécessité de mettre en place un concours d’architecture, intégrant la problématique du suicide et celle du paysage.
Pour le pont de la Jonction, le premier prototype de barrière anti-suicide a été rejeté car trop haut. Les déléguées ont plaidé pour qu’on puisse prendre du temps en vue d’une bonne intégration de la problématique de la prévention. Le pont Bessières à Lausanne et le pont grande-duchesse Charlotte au Luxembourg ont été cités en exemple.
Il était très difficile de faire valoir suffisamment la question du paysage. Elle ne faisait pas le poids en regard de la problématique du suicide. Que quelqu’un ait ajouté « notre belvédère transformé en prison » sur la plaque à l’entrée du pont côté Bâtie montre le côté insatisfaisant de ce qui a été réalisé.
**Questions et remarques
- Quelle est la hauteur nécessaire pour une barrière sur un axe emprunté par les cyclistes ?
- On a mélangé deux problématiques. La protection contre le déraillement concernait le côté train. Mais côté fleuve, ne pouvait-on faire une barrière plus légère ? Et qu’en est-il de la barrière aval, de l’autre côté du pont ? Pourquoi est-elle différente ?
- Les deux ponts sont des sites remarquables pour le paysage, empruntés, y compris la pont Butin, pour la promenade par de nombreuses personnes. Pourquoi une telle urgence, alors que la voie verte était prévue depuis longtemps ? On aurait pu être plus généreux et réaliser un pont promenade, en pensant la cohabitation entre piétons et cyclistes.
[bleu marine]La barrière du pont de la Jonction est en exemple remarquable de ce qu’est une mise en œuvre normative. Quand on fait une voie verte d’agglomération, cela signifie se retrouver devant une gestion de contraintes, et au croisement de différentes politiques avec un budget.[/bleu marine]
[bleu marine]Nous serions tous pour un concours. La rénovation du pont s’est déroulée dans un jeu de superpositions complexes – rappelons que s’agissant d’un ouvrage ferroviaire elle faisait l’objet de procédures fédérales – à l’intérieur d’un trop long processus de 10 ans de croisement d’informations et de niveaux de compétences. A la fin, le design est une variable d’ajustement.[/bleu marine]
[bleu marine]La différence entre les barrières tient aux considérations anti-déraillement. Du côté rails, il s’agit d’une contrainte primaire, afin que le train reste dans l’auge où se situent les voies, et que les personnes sur le passage soient protégées du basculement du train. Côté rivière, il s’agit d’une protection pour les personnes et les vélos. Les normes demandent dans ce cas une hauteur minimale d’un 1 m 30. Quant à la barrière aval, elle est moins élevée car personne ne marche de ce côté là du pont.[/bleu marine]
++++La parole à la Ville de Genève
*La parole à la Ville de Genève
**M. Rémy Pagani, conseiller administratif
En tant que magistrat, il a suivi tout le processus depuis le début. Il remercie tous les organismes qui ont participé au projet, et souligne que tous ont des point de vue respectables.
Assistant social de formation, tant son expérience professionnelle avec des jeunes que son parcours de vie l’ont fait côtoyer des situations de suicide, les drames qu’ils représentent et les désastres qu’ils peuvent provoquer. Il a donc été sensible à la demande de Stop suicide pour la mise en place d’une mesure de prévention. Il y a 30 ans, le nombre de suicides de jeunes était de 1’500 par an, il est aujourd’hui de 1’000. Ces chiffres peuvent être mis en regard du nombre de décès dus aux accidents automobiles, pour lesquels on est passé en 10 ans, par la prévention, de 1’000 à 500 morts.
En tant que responsable politique, il a donc pris la décision de la mise en place de cette barrière. Celle-ci a fait l’objet d’un long processus, même si on n’a pas eu le temps de faire un concours. Vu la longueur des procédures à prévoir dans ce cas, cela aurait signifié que le pont serait resté fermé aux piétons probablement jusqu’à aujourd’hui. On a donc fait au mieux.
Aujourd’hui, le but est de faire un projet ensemble, en arbitrant les différentes problématiques : la protection du paysage, la prévention, et la protection du patrimoine.
**M. Olivier Morand, chef du Service de l’aménagement, du génie-civil et de la mobilité
La nouvelle barrière a repris de la précédente le modèle d’un barreaudage vertical. Vu d’en bas, le résultat est assez léger et élégant. Comme cela a été dit, la hauteur de 1 m 55 est une cote intermédiaire entre le premier prototype (1 m 80) et le minimum de 1 m 30. On a vu l’impact désagréable de cette hauteur et l’impression d’enfermement qu’elle donne, et c’est pourquoi, depuis la mise en place de la nouvelle barrière, on a très vite réfléchi à des pistes d’amélioration possibles.
Le verre a été écarté en raison du problème des rayures, de la saleté et des tags, et aussi parce qu’une telle solution serait problématique au niveau patrimoine. L’installation de filets, elle, serait très visible et inesthétique, notamment vu d’en bas.
L’objectif a donc été de chercher une solution qui fonctionne tant pour le paysage, avec la vue oblique sur la jonction de l’Arve et du Rhône, que pour la prévention. Plusieurs prototypes ont été discuté lors de séances avec Stop suicide. L’idée d’une barrière penchée vers l’intérieur, comme celle avec une partie supérieure oblique à l’image de celle du pont Bessières ont été écartées. Il s’avère en effet que c’est la hauteur qui est déterminante. Le choix est donc de partir de la barrière droite actuelle, en aménageant des fenêtres dans la partie supérieure. Pour vérifier que le montant horizontal intermédiaire ne représente pas un appui facilement accessible pour la franchir, un vrai prototype en acier a été construit. Approuvé par Stop suicide, mais pas encore par la CMNS, il a été amené ce soir à l’extérieur du bâtiment pour que chacun puisse s’en faire une idée et même tester son efficacité en essayant de grimper dessus.
[applaudissements de l’assistance]
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*Discussion générale
Points positifs
- L’ouverture de la Ville est à saluer. Elle a très vite entendu les remarques des habitants, et déjà exploré des pistes concrètes pour améliorer la barrière.
- Il est très positif que ce débat ait lieu, car il touche à des thèmes importants. Et il est aussi l’occasion de parler de ces tabous que représentent la mort et le suicide.
Critiques (avec en bleu les réponses ou commentaires des intervenants)
- On a consulté Stop suicide, mais pas d’autres instances représentatives de la population. C’est un peu deux poids deux mesures.
[bleu marine]Rémy Pagani explique qu’avec 60 chantiers ouverts en même temps en Ville de Genève, il ne peut faire chaque fois des concertations. Mais chaque fois que des citoyens sont mécontents, il réagit et vient pour discuter avec eux et voir ce qu’on peut faire ensemble.[/bleu marine]
- La hauteur actuelle n’empêche pas un suicide. On peut franchir la barrière. On est dans un compromis insatisfaisant.
[bleu marine]Effectivement, 1 m 55 ne permet pas de prévenir 100 % des suicides. Mais franchir cette hauteur demande d’être déterminé et de faire un effort. La barrière agit donc comme un obstacle à la volonté d’en finir, car on ne peut simplement se laisser tomber.[/bleu marine]
[bleu marine]La hauteur refuge recommandée est de 2 m 30, pour 90% d’effet de prévention. La rapport de l’OFROU recommande au moins 1 m 80 pour les sites à haut risques. Cette hauteur n’étant pas envisageable en raison de l’impact sur l’ouvrage et la vue spectaculaire nous avions validé la hauteur de 1 m 55, étant donné que le Viaduc de la Jonction n’est pas un site prioritaire en matière de prévention du suicide. Même si cette hauteur n’est pas idéale en terme de prévention, un rehaussement même moindre reste préférable à aucun rehaussement.[/bleu marine]
- Pour le pont Butin aussi, il y aurait dû avoir une concertation au début du projet. La présence d’un financement privé pose problème dans la mesure où elle semble dicter des réalisations qui ne peuvent pas être discutées.
- On est un peu pris en otage par cette question du suicide, qui est dramatique. Mais se jeter du pont n’est pas la seule manière de se suicider. Si on veut éliminer toutes les possibilités, il n’y a pas de limites.
[bleu marine]Les études montrent que réduire l’accès à un moyen réduit le nombre de suicide par ce moyen mais aussi le taux général. Ça été le cas à Lausanne : après la sécurisation du Pont Bessières, non seulement les suicides depuis ce pont ont diminué mais les suicides par précipitation en général ont aussi diminué.[/bleu marine]
Pistes et propositions
- Prendre le temps pour étudier des alternatives. Il n’y a plus urgence, on peut prendre trois ans, on discute, et à la fin on vote. Ne décidons pas simplement sur la base de la barrière prototype, il y a de la marge pour améliorer les choses.
- Remettre la barrière à 1 m 30, car l’amélioration proposée est faussement satisfaisante, et on accorde trop d’importance à Stop suicide.
- Pour assurer la prévention des suicides, explorer la possibilité d’installer des filets, avec une barrière à 1 m 30 pour la sécurité des piétons et des cyclistes.
C’est très compliqué, car le problème avec un filet est qu’il bloquerait la vue vers le bas, vers le fleuve et la jonction des eaux.
- Prendre en comptes les besoins multiples liés à l’aménagement et à l’utilisation du pont. Et puisqu’on est sur une voie verte, mettre l’argent qu’il faut pour trouver une véritable solution architecturale. Car la réalisation actuelle n’est pas un vrai projet.
- Reconsidérer l’homogénéité de la barrière en intégrant la question des pauses et des arrêts : une promenade est faite de haltes et de lenteur. Tenir compte également des différences de vitesse entre vélos et piétons.
- Faire quelque chose d’entrecroisé, et non ce brutalisme du tout droit utilisé partout.
- Alléger la structure de la barrière : du côté du fleuve, elle n’a pas à retenir une locomotive, mais des personnes. On peut donc diminuer la profondeur des barreaux, car c’est cela qui actuellement empêche de voir à travers. Le problème n’est pas la hauteur, mais la structure utilisée.
[bleu marine]La présence des vélos demande une solidité. La norme est qu’un pendule de 75 kg laché à un mètre de la barrière ne provoque pas de déformation supérieure à 55mm. De plus, on ne peut utiliser pour la résistance de la barrière d’éléments horizontaux qui pourrait servir d’échelle.[/bleu marine]
- Séparer par une barrière adaptée le cheminement en deux, avec les vélos côté voie, et les piétons côté vue. Car avec la vitesse des vélos, la juxtaposition des deux modes transports est dangereuse. Cela permettrait de mettre côté fleuve une barrière.
[bleu marine]La largeur prévue pour des bandes cyclables est de 3 m 50. On a donc sur le pont un diminution de ce critère : on permet à des piétons de marcher sur une bande cyclable. On pourrait aussi se poser la question si les cyclistes ne devraient pas mettre pied à terre pour traverser le pont. On pourrait peut-être alors avoir une barrière moins massive.[/bleu marine]
Droit à la vue, droit à la vie...
- On est en train de parler de la mort des gens ! Une hauteur de 1 m 30, c’est dangereux. Et un seul mort est un mort de trop. Le choix est entre le paysage et la mort des gens.
- Le droit à la vie est supérieur. La République ne va pas être à feu et à sang si une barrière est un peu trop haute. Il est nécessaire de penser aux autres. Si on était soi-même touché, directement ou indirectement, on penserait différemment.
- La majorité des personnes présentes ne méprise pas la cause de la prévention, mais se bat pour une idée de beauté et d’émotion. C’est aussi quand on fait des choses belles qu’on travaille en amont pour la vie. Il n’y a pas lieu de mettre en opposition ceux qui s’engagent pour la beauté et l’émotion, et ceux qui agissent pour la prévention des suicides.
Pour la suite
- Il faut tirer des leçons de la réalisation de ces barrières sur le pont de la Jonction et sur le pont Butin, et mettre en route une réflexion pour éviter à l’avenir ce genre de faits accomplis. Car si cette séance avait eu lieu en amont, on aurait évité bien des tensions.
[bleu marine]Rémy Pagani voit deux possibilités : est-ce qu’on fait un concours d’architecture, ou on améliore le projet existant, comme on vous le propose ce soir ? La première option est plus compliqué, et nous ferait entrer dans un processus soumis aux aléas des procédures politiques.
Sa proposition est donc de faire construire deux modules, de les mettre en place pour qu’on puisse juger sur place, puis de se réunir à nouveau en assemblée pour en discuter.[/bleu marine]
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Réflexions et perspectives
Par Pierre Varcher, coprésident de la Maison de quartier de Saint-Jean
La question qui reste ouverte c’est « qu’est-ce qu’on fait ? » On voit que le sujet, qui de prime abord pouvait sembler anodin, est drôlement passionné. Le passage sur le pont de la Jonction fait en effet partie de l’identité de Saint-Jean. En 45-46, les témoignages de l’époque révèlent ce qu’a représenté pour le quartier la possibilité de pouvoir traverser le Rhône et aller jusqu’au bois de la Bâtie.
Il y a dans la discussion de ce soir trois débats :
Le premier porte sur le suicide et la prévention. Est-ce qu’il faut protéger les autres contre toute tentative de suicide, ou considère-t-on que ce n’est pas notre problème ? On peut en tout cas comprendre le souci du magistrat, outre ses raisons plus personnelles, qui ne veut pas se retrouver tenu pour responsable au cas ou il ne serait pas entré en matière. Dans l’assemblée, personne ne s’est opposé de front à la prévention. Mais la demande de statistiques et les réactions dubitatives montrent le besoin de preuves qui viennent appuyer ce est dit de la prévention.
Le deuxième débat est celui du droit au paysage. On pourrait penser que c’est un droit de riches. En fait il est très lié à nos identités. Et on constate qu’il est souvent sacrifié à tous les autres intérêts. Il y a là une vraie question de fond : comment notre société se construit-elle ? Comment construit-elle sa ville ? Est-ce qu’on va vers la fonctionnalité pure, vers la sécurité, quitte à faire une ville où on est enfermé, ou bien est-ce qu’on mise sur l’esthétique d’un ouvrage et le droit au paysage ?
Le troisième débat est « qui décide de tout ça ? » Il y a plus de 15 ans, le Forum Saint-Jean - Charmilles s’est formé pour assurer une démocratie participative. Celle-ci peut prendre plusieurs formes, à partir de la simple information qui n’est pas encore une participation démocratique, jusqu’à la concertation aboutissant à une décision commune.
Ici se pose un problème avec Stop suicide, puisque leur demande sur de tels projets, et pour des raisons qui leur sont propres, est qu’il n’y ait pas d’information. Cette absence d’information heurte l’idéal de démocratie, puisque on est devant une espèce d’idéal du secret : « on n’en parlera que quand ça sera fini. »
La problématique des barrières soulève la question « qui peut décider quoi ? » Ce n’est pas simple. Ce n’est pas blanc ou noir. Ce sont des pôles en tension. Et c’est d’autant plus difficile qu’ils sont très émotionnels.
L’ouverture de la Ville de Genève est à noter. Quand on voit des gens qui font des prototypes et grimpent dessus pour les tester, on ne peut en tout cas pas dire « ils font n’importe quoi ». On voit qu’il y a de leur côté une écoute.
Si on continue ce processus, suffira-t-il de se positionner par rapport à des prototypes après les avoir essayés ? Cela demandera aussi un cadre de discussion qui peut continuer, et soit ouvert aux idées exprimées ce soir, par ex. sur les besoins de diversité en terme de promenade ou sur l’aspect de la barrière. Le but d’un tel processus sera de trouver une solution qui soit un compromis. Et pour cela il faut se donner un peu de temps. Pas forcément avec un concours. Mais en tout cas avec une procédure de concertation. Pour cela, l’habitude du Forum est de former des groupes de travail, avec les personnes intéressées. Ce qui a été prévu ce soir, avec les feuilles où vous pouvez noter vos coordonnées, afin d’être tenu au courant et invités aux prochaines étapes de discussion et de réflexion.
[applaudissements de l’assistance]
Pour la suite du processus participatif sur cette problématique, voir[fond lavande] le compte-rendu du forum du 12 juin 2019[/fond lavande] consacré aux différentes solutions proposées pour améliorer la barrière
Forum 1203
Débat sur le pont de la Jonction : compte rendu











