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Origines du nom des rues et histoire du quartier

mardi 20 novembre 2018, par Nicolas

Cette présentation de l’origine du nom des rues et cet historique du quartier ont été rédigés par Pierre Varcher, coprésident de la Maison de quartier de Saint­-Jean.

*V. L’ORIGINE DU NOM DES RUES DU QUARTIER

**1. Les rues faisant référence au site

Certaines rues portent le nom du lieu où elles mènent :
L’avenue d’Aïre
La rue de Lyon
La rue de Saint-Jean
(voir l’origine de ce nom ci-dessous dans le chapitre consacré à la période du Prieuré).

Le sentier Sous-Terre : Ce nom s’ex­plique par la situation du lieu au pied des falaises, sous les terres des grands pro­priétaires bourgeois de Saint-Jean. L’an­cien pont Sous-Terre fut construit en 1889-­90 par un promoteur immobilier pour permettre la desserte de la minoterie qu’il louait à Sous-Terre et qui y profitait de la force hydraulique du Rhône.

Deux rues évoquent le fait que le quartier se situe au sommet des falaises et offre un point de vue remarquable sur la ville et ses environs connu des Genevois ainsi que le montre la carte postale de 1905 ci-dessous. Ces deux rues ont été tra­cées lors du morcellement de la campa­gne Pictet ­Constant.
Rue du Belvédère : Voltaire, notamment, y conduisait tous ses visiteurs.
Rue Beau-Site

Vue de Genève depuis Saint-Jean

Deux autres rues portent le nom d’un site visible dans leur axe :
Rue du Beulet : avant la construction de l’école, la rue pointait sur le Beulet, alpage du Salève entre la Croisette et les Pitons. Entre 1913 et 1957, la rue parallèle s’ap­pelait, selon la même logique, la rue des Treize-Arbres, avant d’être rebaptisée rue de Miléant.
Rue de la Dôle : a dans son axe nord le sommet du Jura qui porte ce nom.

Un certain nombre de rues ont reçu le nom du site où elles se trouvent, ou des plantations dominantes en cet endroit :
Rue des Cèdres : Cette rue rappelle que, comme ici, les bourgeois genevois étaient amateurs de cèdres qu’ils plantaient dans leur propriété.
Rue des Charmilles : En 1865, ce vieux chemin s’appelle encore « Chemin de Châtelaine ». Une charmille est un en­semble de charmes plantés et taillés pour former une allée. On en trouvait de nom­breuses sur les propriétés d’alors. Une campagne située vers le rond-point actuel et s’étendant jusqu’à la rue de la Dôle s’appelait « La Charmille ».
Sentier des Falaises : Serpente au pied de celles-ci le long du Rhône.
Chemin du Ravin : Avant la construction de l’école de commerce, un ravin descen­dait des Délices jusqu’au bord du Rhône.

Rue des Charmilles et avenue des Tilleuls vers 1950
Bibliothèque de Genève

Avenue des Tilleuls : Elle rappelle l’allée de tilleuls qui se trouvait à cet endroit-là.

**2. Les rues faisant référence à la période des grandes propriétés bour­geoises :

Rue du Château : c’était le chemin d’ac­cès à la maison de maître des Pictet ­Constant.
Rue Daubin : Nicolas Daubin (1807­-1862) a acheté une propriété aux Char­milles où ses descendants vécurent jus­qu’en 1909.
Rue des Délices : Nom que Voltaire don­na à sa propriété qu’il occupa de 1755 à 1765. La maison de maître des Délices abrite aujourd’hui le Musée Voltaire.
Rue des Eidguenots : Nom du parti fon­dé au début du 16e siècle qui était partisan d’une alliance de Genève avec les Confé­dérés (Eidgenossen). Un de ses chefs, Bezançon Hugues, fut certainement le premier bourgeois genevois à établir sa maison de campagne à Saint-Jean.
Chemin François-Furet : Peintre gene­vois, paysagiste et animalier (1842–1919). Au début du morcellement des grandes propriétés, Furet avait son atelier dans une grande villa située à l’angle des rues actuelles Miléant et des Tilleuls.

François Furet dans son atelier en 1906
Photo Boissonnas - Bibliothèque de Genève

Avenue De-Gallatin : Cette avenue re­prend le même tracé que le chemin d’ac­cès à la propriété De-Gallatin : le portail s’ouvrait sur l’avenue d’Aïre et la maison de maître se situait vers l’actuelle rue de la Nouvelle Héloïse.
Rue de Miléant : En 1906, l’année où il a obtenu son permis d’établissement, un certain Léonce Miliante, qui se faisait ap­peler Comte Léon de Miléant, donna à la commune, à titre gracieux, une parcelle du terrain (ex-campagne Gerebzow) que sa femme possédait pour qu’une rue puisse être ouverte.
Chemin du Nant-Cayla : Il borde le nant auquel on a donné le nom de la campa­gne voisine, celle de la famille Cayla.

**3. Les rues du « quartier Jean-Jacques »

Jean-Jacques Rousseau n’a rien eu à faire avec Saint-Jean. Si une bonne partie du quartier lui est dédiée, c’est par la volonté de la Société Immobilière Genevoise qui, en 1912, proposa à la commune de donner ces noms aux nouvelles rues créées par le morcellement de la campagne Gallatin. Le bicentenaire de la mort de Rousseau servit de prétexte à cette opé­ration de promotion immobilière vantant les charmes de la nature en ville.

Ainsi apparurent :
Le Rond-point Jean-Jacques
La rue Ermenonville : du nom du lieu où Rousseau est décédé.
L’avenue Warens : du nom de sa protectrice à Chambéry, Madame de Warens.
Un certain nombre de rues rappellent les œuvres de Rousseau :
Rue des Confessions
Rue du Contrat-Social
Rue du Devin du Village
Rue de la Nouvelle Héloïse Sentier
et parc du Promeneur Solitaire (en souvenir des Rêveries du promeneur solitaire)

Le tracé de la défunte rue de l’Emile (au premier plan)
juste avant la construction de l’école du Devin-du-Village

Rue du Vicaire Savoyard : La « profes­sion de foi du Vicaire savoyard » est un chapitre de l’Émile, une des œuvres majeures de Rousseau. Mais aucune rue ne porte le nom de celle-ci. Elle existait pourtant sur les plans, mais elle a été « écrasée » par… une école publique (celle du Devin-du-Village). Drôle de destin pour la commémoration d’une œu­vre pédagogique majeure…

**4. Les noms donnés en commémo­ration de personnages célèbres sans lien avec le quartier :

Rue Frédéric Amiel : Philosophe gene­vois connu surtout pour son monumental journal intime publié juste après sa mort en 1881 et qui connut un retentissement européen.
Rue J.­ L. Borges : Célèbre écrivain argentin mort le 14 juin 1986 à Genève où il est enterré.
Rue Cavour : Camillo Benso, comte de Cavour, fut un homme politique piémon­tais, important partisan et acteur de l’unité italienne. Sa mère, Adèle de Sellon, appartenait à une famille bourgeoise et calviniste genevoise, ce qui explique les nombreux séjours de Cavour à Genève.

Rue Charles Giron : Peintre genevois né en 1850 et mort en 1914. II était très recherché par la haute société interna­tionale pour ses portraits élégants. Après avoir vécu à Paris, il est de retour à Genève en 1896. Il peint la fresque intitu­lée le « Berceau de la Confédération » qui orne la salle du Conseil National à Berne.

La Parisienne de Charles Giron (détail)

Chemin William-Lescaze : Ce chemin qui est l’ancien accès à la campagne Cayla porte le nom d’un architecte né à Onex en 1896 et qui a fait toute sa carrière aux États-Unis où il fut un des pionniers du modernisme en architecture.
Rue François-Ruchon : Enseignant, his­torien (1857­1953), membre influent du parti radical dont il a dirigé le journal « Le Genevois » de 1945 à 1953.
Rue Tolstoï : (1828­-1910). Un des écri­vains majeurs de la littérature russe. Il a séjourné à Genève en 1857 et 1861. Quelques-uns de ses écrits politico-religieux furent imprimés à Genève, parce qu’interdits de parution en Russie.

Quant à la Rue des Pénates, on ignore les raisons de cette appellation, le baptême de cette rue n’ayant fait l’objet d’aucune décision officielle…

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*VI. SAINT-JEAN – CHARMILLES : UN TERRITOIRE, CINQ PÉRIODES

Il est toujours arbitraire de définir des limites pour un quartier. Si nous avons pris pour démarcation la rue des Délices, la rue de Lyon et une ligne rejoignant le bord du Rhône en englobant l’Europe, c’est davantage pour des raisons de commodité liées au secteur couvert par ce mémento que pour des raisons géographiques ou historiques.

Sur ce territoire ainsi défini et qui réunit Charmilles et Saint-Jean, les mutations ont été nombreuses et nous permettent de retracer son histoire en distinguant périodes :

**1. Le Moyen Age et jusqu’en 1535 : la période du Prieuré

La tradition raconte que vers 500, deux pèlerins, saint Romain et Palade, firent étape près de Genève. Cherchant un lieu pour passer la nuit, ils quittèrent la route de Lyon et descendirent un petit chemin qui menait au bord du Rhône. Là (au bas du sentier Sous-Terre actuel), dans des grottes qui s’ouvraient dans la falaise, ils rencontrèrent deux lépreux obligés de vivre hors de la ville. Saint Romain salua les lépreux en les serrant dans ses bras et en les embrassant. Le lendemain, une fois les deux religieux partis, les deux lépreux s’aperçurent qu’ils étaient libérés des stig­mates de la lèpre ! Un miracle !

Sépultures trouvées dans l’église

Désormais, les grottes furent célèbres et une église et un couvent furent bâtis juste à côté. Bien des années plus tard, un croisé revenant de Palestine avec la chaîne de la captivité et un fragment d’os de saint Jean en fit don à l’église qui fut depuis lors dédiée à saint Jean et donna son nom à toute la région.

Prieuré de Saint-Jean, état actuel

Pour des raisons de sécurité, les Genevois rasèrent tous les édifices des faubourgs et on perdit la trace du prieuré de Saint-Jean de 1535 à 1966, date à laquelle un trax chargé d’ouvrir la nouvelle route du pont Sous-Terre arracha une pierre tombale.

**2. La période des grandes propriétés bourgeoises : les Campagnes

Dès le 16e siècle, des familles bour­geoises achètent des terrains et y cons­truisent des maisons de campagne prenant la forme de maisons de maître avec leurs dépendances. Bezançon Hughes, chef du parti des Eidguenots favorable à une alliance avec les cantons suisses, semble s’y être installé le pre­mier. Puis toute la région est divisée en grandes propriétés : les Délices (nom donné à sa « campagne » par Voltaire venu s’y installer en 1755), Saint-Jean la Tour, la campagne Constant, la propriété de Diedey Gerebzow, de Gallatin, de Cayla, la campagne Vieusseux-Masset.

La maison de maître Gallatin/Lalubin, sur l’emplacement actuel de l’école du Devin du Village
Aquarelle de Jean Du Bois, 1882, Musée du Vieux Genève. Extrait de « 75 ans d’école à Saint-­Jean »

Profitant de la vue et de l’exposition en plein sud, ces grandes familles viennent profiter de la campagne, tout en gardant le plus souvent une résidence en ville, même si l’accès à Saint-Jean n’est pas facile : seule la porte de Cornavin permet de franchir les remparts sur la rive droite,la rue de Saint-Jean n’existe pas. Et les portes de la Ville ferment tous les soirs…

Les terrains se couvrent de vergers et de vignes en hutins, les chemins se bordent d’arbres et l’un d’entre eux devient le che­min des Charmilles, donnant son nom à la partie du quartier en retrait des falaises. Actuellement seules trois de ces maisons de maître subsistent : les Délices, Cayla et Vieusseux-Masset.

**3. L’urbanisation de la première moitié du 20e siècle

Les Genevois décidèrent d’implanter la gare du chemin de fer à Cornavin, une option qui contraignit à creuser le plateau de Saint-Jean d’une tranchée pour faire descendre en pente douce la ligne Lyon-Genève. Cette césure va séparer Saint-Jean des Charmilles pendant plus d’un siècle.

L’ouverture de la rue de Saint-Jean favorisa l’urbanisation du quartier
Bibliothèque de Genève

L’arrivée du chemin de fer a coupé cer­taines des grandes propriétés en deux et a fait perdre de leur attrait à d’autres.Certaines des grandes familles se sépa­rèrent de leur bien.

En 1846, les remparts entourant Genève furent démolis. L’accès au centre devint plus facile et la ville commença à déborder librement.

A Saint-Jean et aux Charmilles, par blocs, les grandes propriétés furent vendues afin d’être morcelées et couvertes de hauts immeubles dont la Maison ronde de Maurice Braillard (1930), classée monu­ment historique. De nouvelles rues furent ouvertes.

Maison Ronde, Maurice Braillard
Bibliothèque de Genève

Plus loin, au-delà du rond-point des Char­milles, entre l’avenue d’Aïre et la rue de Lyon (et aussi de l’autre côté de celle-ci), c’est un espace industriel qui s’est déployé. Au début du 20e siècle, Picard-Pictet SA y produisait une voiture : la Pic­ Pic. En1921 y sont fondés les Ateliers des Charmilles qui se spécialisèrent entre autres dans les turbines et les accessoires hydrauliques.

Mentionnons enfin, entre 1934 et 1939, la création d’un zoo à l’avenue d’Aïre sur des terrains loués à la campagne Vieusseux-Masset et ses voisins. Voulant concur­rencer à terme les zoos de Bâle et de Zurich, il ne résista toutefois pas aux diffi­cultés financières et ferma très vite.

**4. L’urbanisation de la seconde moitié du 20e siècle

Dès 1950, on construit intensivement sur les terrains restés libres. Les immeubles des années 50 et 60 remplissent les interstices, qui restaient nombreux. Les grandes propriétés restées quasiment intactes jusqu’alors rétrécissent et sont morcelées : la maison Gerebzow fait place aux immeubles de la rue Miléant, sur une partie de la campagne Cayla, on construit une école primaire et une école secon­daire inférieure pour les jeunes filles,reprise ensuite par le Cycle d’Orientation.

Les pavillons du cycle d’orientation bâtis sur une partie de la campagne Cayla

La campagne Vieusseux-Masset se réduit comme peau de chagrin ce qui devait permettre notamment la construction du siège européen de l’Union Carbide, une opération qui souleva la première vague d’opposition des habitants du quartier.

Certains quartiers de villas sont rempla­cés par des immeubles. Et surtout, toute la zone industrielle des Charmilles dispa­raît. En 1988, l’ultime symbole de ce quartier industriel, la grande cheminée, est dynamitée. La place est libre pour la construction d’un gigantesque ensemble, celui de l’Europe.

Le quartier subit l’évolution générale des grandes villes : rehaussements d’immeu­bles, ventes d’appartements, difficultés de survie pour le petit commerce, ouverture d’un centre commercial à l’Europe. La Poste cherche à liquider son bureau de la rue du Beulet ce qui provoque en 1999 une réaction populaire qui permettra le maintien partiel du bureau postal et contri­buera à faire de Saint-Jean un quartier où la démocratie participative est active.

Manifestation pour le maintien de la poste à Saint-Jean, 1999
Interview de la TV romande

**5. Vers la réunification de Saint-Jean et des Charmilles : la couverture des voies

Vers 1943 : La tranchée du train entre Saint-Jean et les Charmilles, vue du Pont de Miléant. Immeuble de l’av. Gallatin
Bibliothèque de Genève

Dès 1981, face à l’augmentation du bruit des trains occasionnée par l’ouverture de la double voie vers l’aéroport, on étudie la possibilité de couvrir la tranchée entre le Pont des Délices et le Pont du chemin des Sports. Finalement, le Conseil Municipal vote en 1988 les crédits pour une couver­ture jusqu’au pont de l’avenue d’Aïre. Les travaux durent de 1990 à 1993. La cou­verture, légèrement surélevée, n’efface pas complètement la coupure entre Saint-Jean et les Charmilles. L’option retenue pour les équipements refuse la création d’une nouvelle centralité de ces deux quartiers. Est privilégiée l’idée de garder la trace de la soudure. Petit à petit, la limite s’estompe, les voies de passage se multiplient. La séparation entre Saint-Jean et les Charmilles est-elle définitivement effacée ? L’histoire à venir en décidera.

1993 : La couverture en construction entre le Pont Miléant et la rue du Beulet
Photo Brutsch & Brutsch

En attendant, la population se modifie peu à peu sous le coup des mises en vente d’appartements et des augmentations de loyers. C’est peut-être dans ces changements-là qu’est en train de se dessiner la 6e période de l’histoire du quartier…


Pour compléter cette présentation, on peut consulter le livre [vert]Saint-Jean – Charmilles entre hier et aujourd’hui : passé et présent sous le même angle[/vert], plus de 200 photos noir/blanc, une histoire en 60 rubriques.

Publié en 2015 à l’occasion des 30 ans de la Maison de quartier, ce livre hors commerce est toujours en vente à la Maison de quartier de Saint-Jean au prix de 30 francs.


* MEMENTO D’ADRESSES DU QUARTIER